Dreamers : Souvenirs
Ce récit prend place avant le tome un (Forgeron et Pilote), et entre les tomes deux (Roche et Ciel) et trois (Druides et Chamans, à paraitre)
Sofian marchait sur la falaise, se situant à la sortie de la jungle, seulement vêtu des scandales et d’un short de plage ample, sur lequel étaient dessiné des fleurs rouges, sur un fond prune. Ses cheveux roux fraîchement coupés en une petite crête qui lui donnait un air encore plus mutin, et contrastait avec sa peau dorée par le soleil. Ses parents n’aimaient pas qu’il vienne ici seul. Non pas à cause du petit lac au pied de la cascade se trouvant dans la jungle, non loin du village, où il pouvait passer des heures à se baigner, son niveau en natation étant aussi bon que celui de ses parents, mais à cause des dangers inhérents de la jungle. Ils savaient que si un danger se présentait face à lui, le jeune garçon pourrait déjà amplement se défendre grâce à sa magie de feu. Non, ce qui les inquiétait, c’étaient les dangers qui pouvaient le prendre par surprise. Encore plus depuis le récent incident avec le python écorce, ces reptiles devant leur nom à leurs écailles imitant l’écorce des arbres dans lesquels ils nichaient, et chassaient leurs proies. Sofian et d’autres jeunes du village jouaient ce jour-là à l’orée de la forêt, et grimpaient aux arbres pour faire les idiots. Mais alors que les autres s’étaient éloignés de lui, pensant que le jeune roux dynamique les avait vus lui faire signe qu’ils rentraient tous pour goûter, le garçon s’était retrouvé seul. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait, expliquant en partie pourquoi le garçon préférait parfois rester en retrait. D’autant plus, qu’il était le plus jeune de leur bande d’enfants et de jeunes adolescents d’âge disparate, et que hormis quelques mots d’usage, aucun ne communiquait dans sa langue. Quand il s’en était retrouvé aperçu, le garçon avait décidé de rester dans son arbre, n’ayant pas envie pour le moment de devoir exagérer sa bonne humeur, pour ne pas inquiéter ses parents, qui parfois s’attristaient de la solitude de leur fils. Il avait bien eu un petit amoureux, il y a quelques semaines, et les deux garçons s’étaient promenés un temps en se donnant la main. Mais l’un comme l’autre s’étaient assez vite désintéressés de leurs sentiments balbutiants.
Sofian avait alors décidé de se pendre la tête en bas, se suspendant les genoux autour de la branche. C’est alors que le serpent s’était enroulé autour de sa cuisse, comme il l’aurait fait autour d’une branche. Sous la surprise due au contact, Sofian avait alors desserré la prise de ses jambes et était tombé au sol en se fracturant le poignet droit. Lorsque mamie Esmée, l’une des anciennes du village, l’avait retrouvé adossé au tronc de l’arbre, le corps du serpent aux écailles faites d’un camaïeu de marron, près de lui, le garçon pleurait. Non pas à cause de son poignet qui le faisait pourtant souffrir, mais, car en tombant il avait écrasé la tête de l’animal qui en était mort. Car même s’il était habitué à chasser de petits animaux avec sa mère, ou pratiquait déjà la pêche sous-marine avec son père, il ne s’amusait jamais de prendre une vie. Et surtout, il savait que quand il le faisait, c’était dans le seul et unique but de se nourrir.
Ainsi était Sofian, car même s’il était doté d’un pouvoir qui n’avait déjà rien à envier à certains cadets de l’Académie Impérial, il refusait de faire souffrir les autres. Et cette empathie valait aussi pour les animaux, d’autant plus quand il s’agissait comme ici d’une espèce inoffensive.
L’avantage de posséder un pouvoir tel que le sien était que ces parents avaient pu l’emmener directement à l’hôpital militaire se faire soigner le bras, et non dans l’un des deux dispensaires disponibles sur le port de pêche de Kahenwo, la ville de villégiature où ses parents et de nombreux autres pêcheurs vendaient leur prise. Ainsi, ils avaient été certains que leur fils ne garde aucune séquelle de sa fracture. C’était le seul avantage à la condition de Caster de Sofian dont il avait bien voulu bénéficier.
Toujours est-il qu’il se retrouvait désormais avec le bras dans le plâtre, ce qui l’empêchait de plonger. Et afin qu’il ne soit pas tenté de le faire, ses parents le laissaient à quai, à la surveillance de l’ancien et voisin, qui faisait cours aux jeunes du village. Mais ses parents ne s’étaient pas fait d’illusion pour autant, leur fils n’étant pas des plus assidus et passionné par les études. En raison de son pouvoir, il n’aurait pas été inscrit d’office à l’Académie Impériale, il aurait été certain qu’il aurait repris le bateau de pêche de ses parents. Et donc il n’était pas rare qu’il aille battre la jungle, au lieu de rester avec ses petits camarades. Et a fortiori un jour comme aujourd’hui où il s’agissait de musique, un concept qui lui était abstrait, et dont il n’avait pas compris toujours pas compris le sens. La seule fois qu’il avait ressenti quelque chose à ce sujet, ce fut quand mamie Esmée lui avait montré un vieux violon. Pendant un instant, il lui avait semblé que sa magie était entrée en résonance avec l’instrument, à moins qu’il l’ait juste trouvé joli.
Mais avoir un bras dans le plâtre ne l’empêchait pas d’utiliser sa magie. Et c’est assis au bord de la falaise, les pieds ballants dans le vide, qu’il faisait voltiger de petits oiseaux stylisés en flamme.
Il aimait dessiner avec ses flammes, et il se faisait comprendre la plupart du temps grâce à elle.
Contrairement à l’officière qui l’avait évalué cette année, et qui l’avait félicité de devenir prochainement un brillant élément de l’armée, ce qui l’avait attristé, celui de l’an dernier lui avait dit qu’il avait un don magnifique, avec lequel il était normal qu’il dessine. L’évaluateur impérial avait précisé aux parents de Sofian, qu’il était normal que leur fils privilégie davantage ce mode d’expression, et ce même avec eux, le dessin étant le premier vecteur qui permettait aux enfants d’exprimer leurs idées et leurs sentiments, et il restait longtemps leur mode d’expression favori. Ce qui était d’autant plus vrai dans un cas comme celui de Sofian.
Il ne sut pourquoi, mais en regardant ses oiseaux voler, Sofian se rappela une vieille légende. Même si elle était avant tout à destination des enfants tels que lui, tous ceux du village l’entendaient, génération après génération. D’autant plus que jusqu’à lui, le village n’avait pas compté d’enfant doté de pouvoirs depuis six générations.
Il y a d’innombrables lunes, alors que le village n’était qu’un hameau, et que personne encore n’avait entendu parler du duché d’Aranea, un groupe de Caster avait désiré obtenir encore plus de pouvoirs. Afin de se faire, ils avaient ôté la vie à une créature mythique de l’Ancien Monde. Mais un tel crime ne savait rester impuni. Afin de les punir, un dragon dévasta leur planète Astera, en faisant s’abattre sur lui la pire des tempêtes.
Pour Sofian, c’était juste une histoire afin de mettre en garde les possesseurs de pouvoirs contre l’avarice et l’envie d’en abuser à de mauvaises fins. Mais même sans cette mise en garde, il ne comprenait pas l’utilité d’un plus grand pouvoir, le sien lui suffisant amplement pour s’amuser. De plus, ses parents lui avaient raconté comment bien avant sa naissance, le village avait failli disparaître à cause d’un typhon sans précédent de mémoire d’anciens. La destruction du monde évoqué dans la légende, devant être ni plus ni moins l’un d’entre eux, selon lui. Et puis de toute façon, le jeune garçon savait très bien que les créatures mythiques étaient comme les différentes divinités, elles n’avaient jamais existé.
Le garçon se concentra et fit courir ses doigts devant lui, et ses oiseaux s’assemblèrent en une forme plus complexe. Son cercle magique apparut sous lui, à moitié dans le vide, et les traits s’affinèrent afin de dessiner clairement ce qu’il avait en tête. Il trouvait toujours plus simple de dessiner avec ses flammes, sa magie s’assemblant toujours comme il le désirait, et il avait l’impression que ses possibilités avec étaient infinies. C’est ainsi que se forma dans les airs une baleine des récifs. Il n’avait encore jamais eu la chance de rencontrer l’un de ses petits cétacés, mais il en avait vu de nombreux dans des livres d’images, et l’animal qui se dessinait dans les airs était conforme à ceux des récifs marins. Il s’amusa un peu à la faire voltiger dans les airs, puis il la fit plonger dans l’océan. Le problème était qu’à cause de la chaleur intense des flammes de Sofian, flammes qui ne s’éteignaient pas dans l’eau, la température de celle-ci monta en flèche. Et c’est alors qu’il le vit. Un homme remontait à la surface et essayait de s’éloigner de la zone de surchauffe. Mais il était trop tard, et même si Sofian avait dissipé sa magie en urgence, l’eau avait commencé à chauffer largement au-delà du raisonnable. Alors Sofian fit la seule chose à laquelle il pensa. Il lança plusieurs flammes telles des fusées de détresse, enroba son bras d’une autre flamme pour le protéger, et plongea du haut de la falaise afin de se porter au secours de l’homme.
Jamais il n’avait plongé d’aussi haut, mais il s’en savait capable. Juste avant de crever l’océan, il lâcha une dernière flamme en direction de celui-ci afin de ne pas ressentir l’impact au contact de l’eau.
Il essaya de se porter au secours de l’homme, ne ressentant pas la chaleur créée par ses propres flammes. Mais entre son bras qui l’empêchait de nager correctement, et le fait qu’il n’avait que huit ans, il eut tout le mal du monde à le faire. Heureusement, un bateau qui barrait non loin, vit la flamme de secours de Sofian, et vint rapidement à leur rencontre, et se porta au secours de l’homme, qui malheureusement souffrait de sévères brûlures.
C’est alors que Sofian se réveilla, en sueur, malgré l’air plus frais de nuit, qui n’était pas encore tombée. Il regarda à côté de lui, et vit Avery qui dormait paisiblement. Il était venu dormir cette nuit avec lui sur le bateau de pêche de ses parents, afin à la fois de passer du temps avec son meilleur ami, et aussi afin de laisser Matti et Caleb dormir ensemble. Depuis que tous deux étaient rentrés de leur stage sur le Dilligent, Sofian avait remarqué que lors de chaque nuit passée au contact d’Avery, ses rêves se faisaient souvenir, et ces derniers étaient de plus en plus clairs. Il se doutait que cela avait un rapport avec les cauchemars dévastateurs que Caleb faisait depuis leur retour, mais il ne savait pas en quoi. Il essayerait de demander à son petit ami et son jumeau quand ils arriveraient le lendemain.
Il sentait que l’aube ne tarderait pas. Alors, tout en laissant Avery dormir, il se dirigea vers le pont du bateau afin de préparer le matériel pour la pêche, afin qu’ils puissent partir dès que ces parents arriveraient. Il avait hâte de plonger, afin de calmer ses angoisses dues à son souvenir. Le plongeur avait gardé des séquelles des brûlures, mais il ne lui en avait voulu, et personne du village ne l’avait ostracisé non plus. Tous comprenaient qu’il s’agissait juste d’un accident, et la tristesse qui avait pu se lire sur le visage du garçon, de longs mois durant, avait déjà été en soi un fardeau bien lourd à porter pour de si frêles épaules. Malgré tout, Sofian en gardait un sentiment trouble vis-à-vis de sa magie, essentiellement quand on lui demandait de s’en servir dans des exercices d’attaques, comme cela avait été le cas à l’Académie Impériale. Mais il savait que sa magie était belle, et grâce à elle il avait pu rencontrer ses amis et son petit ami.
Comme tous les matins quand il se réveillait sur le bateau, il fit partir de ses doigts une ribambelle de petites flammes, qu’il contrôlait de sorte qu’elles évitent toute matière solide qui ne viendrait pas à leur rencontre, et ce durant une bonne minute. Un exercice qui était devenu tellement banal pour lui, qu’il le faisait désormais sans même lui accorder une pensée. Et quand il vit que certaines s’éteignaient, il savait que c’était des pêcheurs déjà réveillés qui refermaient leurs mains sur ses flammes. La façon qu’il avait créée de les saluer le matin, et par laquelle tous lui répondaient, et lui signifiaient leur présence, afin que toujours il sache que jamais il ne serait seul. Et cela, quel que soit l’avenir qui se présenterait devant lui.
Laisser un commentaire